Introduction
L’art d’avoir Toujours Raison (sans peine) en PDF
« Le discours est un tyran très puissant », disait le sophiste Gorgias dans son Éloge d’Hélène. De fait, depuis les ruses d’Ulysse qui dupa le Cyclope en se présentant à lui sous un faux nom jusqu’aux habiles slogans publicitaires, dont le sociologue Jean Baudrillard devait montrer en 1970, dans La Société de consommation, comment ils font de nous des acheteurs compulsifs, toute l’histoire des rapports de domination entre humains pourrait s’expliquer par la maîtrise des mots. À l’Assemblée, dans l’entreprise, chez le médecin, au café et jusque dans la maison familiale ou la chambre conjugale, quel que soit le lieu où nous nous exprimons, dès qu’un désaccord survient, c’est toujours le plus malin dans la manipulation verbale qui gagne.
Très vite conscients du pouvoir absolu que peut conférer le langage à celui qui sait l’utiliser pour servir ses propres intérêts, les penseurs de l’Antiquité ont cherché à en codifier l’usage. Il s’agissait pour eux d’éviter que la quête de la vérité ne soit corrompue par des discours philosophiquement faux mais suffisamment bien tournés pour provoquer l’enthousiasme des foules, et offrir la gloire aux meilleurs orateurs. Premier auteur d’un traité de rhétorique, Aristote inaugura ainsi une longue série d’essais théoriques destinés à classer et à évaluer les différents types d’arguments persuasifs qu’offre tout langage quand il s’agit de l’emporter.